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Expéditions

Auteur

Jean-Charles Fortin

Connaissez-vous le concept de départ alpin? J’imagine votre réponse… Les jeunes non plus ne connaissaient pas. Maintenant ils connaissent…

Le kayak de mer en milieu maritime (dans le sens de « eau salée » et « marées ») comporte son lot de défis. La température de l’air, celle de l’eau, les courants, les récifs, les côtes inhospitalières, les marées et bien d’autres éléments peuvent représenter autant d’aléas pour les pagayeurs, néophytes tout autant qu’experts. Par-dessus tout, le vent a un impact majeur sur les déplacements ou la possibilité d’effectuer ceux-ci. Devant l’imminence de vents défavorables, différentes stratégies s’offrent aux pagayeurs. Parmi elles, le départ alpin, expression empruntée aux montagnards qui se lèvent parfois à 2 heures du matin pour être en marche dès 3 heures afin de profiter des surfaces gelées de la nuit et du même coup d’un maximum de clarté dans le dessein de progresser sur les glaciers.

Bien évidemment, fort peu de glaciers autour de nous sur les Îles Mingan. Mais la menace de vents contraires plane sur nos têtes… Il nous faut donc quitter le campement tôt, avant que les bourrasques de l’est ne se lèvent et limitent voire empêchent notre progression. C’est ainsi que le coq sera appelé à chanter autour de 4h00 sur notre campement. Les yeux mi-clos, nous devons rouler nos matelas, sacs de couchage et tentes, avaler une collation et mettre à l’eau. À l’image des coureurs des bois, nous pagaierons une bonne heure et demie avant de prendre le déjeuner. (Remerciements bien sentis à l’ensemble des maringouins de l’île qui ont daigné se lever tôt pour venir nous dire au revoir lors de notre départ.)

La traversée entre notre campement de l’île Niapiskau et l’Île du Fantôme sera… magique, majestueuse, magnifique! De prime abord, nous pagayons sur une mer d’huile, des conditions que nous n’avons pas connu jusqu’ici; l’onde y miroite les nuages, nos propres images et les pastels du lever de soleil. Dès la première pointe passée, un marsouin se pointe le bout du nez et nous offre en spectacle son gracieux ballet matinal. Quelques coups de pagaies plus tard, ce sera une famille d’une dizaine d’oisillons cormoran qui nous ouvrent le passage. Puis une volée de guillemots à miroir. Ici et là, des goélands passent en rase-mote, vraisemblablement à la recherche de leur déjeuner composé de poisson (on croit comprendre que, tout comme Virginie, les goélands suivent aussi un régime paléo). Mais le meilleur restait à venir…

Pchhhoouuuuhhhh… Non?… Pas vrai!…  Silence et stupéfaction… Pchhhoouuuuhhhh…  Oui!!  C’est bel et bien le son typique d’un rorqual! Où est-il? Mais où est-il donc? Il vient de plonger… Où va-t-il ré-apparaître? À gauche, à droite, devant, derrière?…

DEVANT!!!! JUSTE LÀ! DEVANT NOUS! À 20 mètres, tout au plus! Quel spectacle fabuleux!! Il est là, juste pour nous, petits kayakistes d’une humilité forcée devant ce mastodonte de 30 tonnes! De nature généreuse, cette baleine nous graciera de trois passages qui susciteront tour à tour stupeur, émoi et admiration. Vraiment, nous sommes comblés… Et comme si ce n’était pas assez, nous aurons aussi droit à un concert de phoques du Groenland, aussi appelés – à juste titre – loups marins. Une expérience saisissante, enlevante, réservée aux aventuriers lève-tôt.

Toutes ces émotions creusent l’appétit. Nous accostons sur l’île aux Fantômes. Après avoir entendu les loups marins hurler, on a une bonne idée de l’origine de la toponymie des lieux… Émile, qui n’a jamais utilisé de briquet de ses 14 ans de vie, démarre le feu tout seul. On voit une flamme de fierté dans ses yeux! On dévore nos fruits et notre gruau, on se repose un peu (beaucoup), puis on repart. De fait, il est presque 10AM et un vent un brin paresseux semble sortir de son lit.

La traversée vers l’Île du Havre se fait sans problème mais notre convoi commence à s’étirer… On est forcé de croire que la courte nuit de sommeil commence à se faire ressentir… On doit multiplier les pauses… On prend du retard sur l’itinéraire… Et les vents augmentent… Certes, nous avons atteint la rive ouest de l’Île du Havre mais nous devons la contourner pour atteindre notre site de camping situé sur la rive est. Le trajet le plus court nous amène à contourner l’île par le sud en contournant la pointe Enragée. Comme son nom l’indique, les vents ont mauvaise réputation dans ce coin de pays… Malgré la journée qui s’allonge, nous choisissons de passer par le nord, un itinéraire plus long mais plus stratégique sachant les vents qui continuent d’augmenter.  Malgré tout, nous nous faisons passablement tabasser alors que nous passons le cap du Corbeau à l’extrémité nord-est de l’île. Des vagues triangulaires s’y sont formées, fruit du mariage des vents, des courants et de la marée. On trime dur mais on y arrive!

Ne reste plus qu’à accoster (dans le surf!) à notre camping, l’un des plus beaux sites aménagés que j’ai vus depuis un bon bout de temps. On y trouve une plage de galets où bat violement le ressac, un ruisseau d’eau douce et ses cascades qui coulent au cœur de pierrailles moussées, un abri cuisine digne des grandes cabanes à sucre, des plateformes de tentes charmantes, une vue panoramique qui porte jusqu’au phare de la Petite Île au Marteau. On laisse savoir aux jeunes qu’ils peuvent aller se reposer dans leur tente s’ils le souhaitent, après cette journée de plus de 15 km, mais surtout, de 9 heures en mer. La plupart préfèrent néanmoins amorcer une partie de loup-garou. Je ne sais pas où ils trouvent leur énergie… Personnellement, j’ai dû puiser dans mes ressources et dans le sac ziploc de thé à maintes reprises pour écrire ce blogue!

PS Merci pour vos chaleureux commentaires sur le blogue, c’est très apprécié! Parents et amis des participants, n’hésitez pas à nous écrire pour faire part de vos mots à leur intention!

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