Date

Catégories

Expéditions

Auteur

Jean-Charles Fortin

Yeux mi-ouverts. Conscience embrumée. Corps enraidi. Haleine douteuse. Et vessie pleine. Bref, le réveil. Dès lors, le doute s’installe. Il pleut. Des cordes. Des câbles en fait. De la taille de ceux qui retiennent les avions sur les porte-avions. Il vente. À écorner des bœufs qui n’auraient même pas de cornes. Et il fait froid. Du genre à mettre une tuque, des mitaines et toutes les épaisseurs de vêtements que nous avons avec nous. Le doute s’installe que je vous dis. Pourrons-nous mettre à l’eau avec cette météo? C’est à croire que les Îles Mingan ne veulent pas de nous…

Qu’à cela ne tienne, il nous faut quand même déjeuner. C’est un peu à rebours que nous sortons de nos tentes, titubant dans nos bottes, trottinant jusque sous la bâche. Deuxième moment de doute : on nous sert du couscous pour déjeuner. On essaie… Révélation! Contre toute attente, c’est vraiment délicieux! Digne des grands restaurants de Marrakech! Du couscous parfumé agrémenté de graines de citrouilles et de canneberges. Un délice que je vous dis!

Mais, bon, revenons à nos moutons. Ceux-là même qui ornent les eaux sur lesquelles nous sommes sensés voguer. Il y en a tout un troupeau! Et on a envie de penser qu’ils fuient une meute de loups à la vitesse où ils défilent. On se retape les prévisions météo : les vents doivent virer à l’ouest puis diminuer, marquant vraisemblablement la fin de la dépression qui flotte dans l’air et, espérons-le, la fin de la dépression dont semblent affectés quelques uns des participants qui piaffent d’envie de pagayer.
Nous prenons donc la décision de préparer nos bateaux à partir en y logeant notre matériel – ce qui prend vraiment beaucoup de temps de début d’expé… – , de les mettre prêts à partir puis de prendre le lunch. À notre grand étonnement, presque tout entre dans les kayaks. Le reste du matériel nous sera acheminé par bateau-taxi un peu plus tard cette semaine, en même temps qu’une génératrice qui nous permettra de recharger tout notre bataclan électronique.

Nous mangeons notre lunch autour du feu pour nous réchauffer puis nous décidons de tenter notre chance. Nous savons que nous pouvons pagayer dans la baie Romaine où nous nous trouvons car nous sommes abrités des vents. Mais que ce passera t-il lorsque nous atteindrons la pointe et que nous serons alors exposés, vulnérables devant Éole, le dieu des vents? Dans le pire des cas, nous rebrousserons chemin et reviendrons coucher au même endroit sur la côte; dans le meilleur, nous nous rendrons sur l’une des îles de l’archipel pour y passer la nuit. C’est dans l’eau salée mais surtout dans le doute que nous donnons nos premiers coups de pagaies.

On trime dur. Bien que l’on soit abrités des vents dominants dans notre baie, on doit tout de même se battre un peu. Le ciel est bouché, la mer agitée. Rien de dangereux mais on parle quand même d’un défi pour des non-initiés. Malgré les conditions exigeantes, les sourires reviennent sur les visages de nos participants. Enfin, on pagaie! On longe la côte, on sort de la baie, on contourne la pointe…et les vents se calment peu à peu, comme pour nous souhaiter la bienvenue! Nous poursuivons et enfilons baie après baie, pointe après pointe. Nous allons bon train, suffisamment pour nous rendre sur une belle pointe de sable sur la côte où nous établirons notre campement pour la nuit. Entre temps, le ciel s’est dégagé et seuls quelques cumulus s’accrochent à l’azur. Notre débarquement a des allures de fêtes! Nous avons enfin progressé sur l’eau!

Tandis que nous montons notre campement, un bateau à moteur s’approche. Il vient dans notre direction, puis accoste à notre plage. On reconnaît William, un biologiste oeuvrant sur la rivière Romaine que nous avons rencontré dans la journée de lundi. Tout sourire derrière sa barbe, il est venu nous porter une boîte de Timbits! Cinquante beaux morceaux de civilisation qui ont un goût de bonheur sucré après une journée au début amer! Merci Will!

(Note de la rédaction : il n’y a pas de lien direct entre le dernier paragraphe et le prochain.)
C’est aussi à ce campement que nous montons notre première toilette de fortune, aussi connue sous le nom de bécosse dans les hautes sphères de l’arrière-province. On donne un atelier ‘bécosse 101’à nos jeunes, dont certains affichent une moue dubitative devant cet incontournable des sorties de longue durée en plein. Il ne fait aucun doute, l’expé est bel et bien lancée!