Dans la nuit de lundi à mardi, en camping d’hiver sur le lac, il s’est passé quelque chose de surnaturel. Vers 3h du matin, alors que les nuages s’étaient tassés juste assez pour m’encadrer la grande ourse et une demi-lune brillante, croyez-moi, croyez-moi pas, mais je soupçonne que plusieurs se sont transformés en Triton; j’oserais un néologisme, ils se sont carrément ‘’tritonisés’’.
Je vous explique : c’est que Triton, le dieu-là (en référence au blogue d’avant hier), jouait de la trompette dans un coquillage. Et bien, pas de doute, j’ai entendu tout un concert : ça ronflait rondement sur toute la gamme! Une tonitruante symphonie de trompettes ronflantes. De plus, cet après-midi, j’ai appris de Nicolas (qui l’aurait appris du directeur de l’opéra de Paris venu en vacances à la Seigneurie!), qu’un ‘’triton’’ en musique classique, serait un intervalle de deux notes distantes de trois tons entiers qui ne se jouent pas l’une à la suite de l’autre puisque la combinaison donne un son qui n’est pas agréable à l‘oreille. On nomme aussi ces trois notes : « l’intervalle du diable ». Sachant tout ça, et sachant comment le ‘’Yiabe’’ aime bien mettre son nez dans des légendes québécoises, je pense que le concept du Triton ̶ de sa trompette… à la qualité douteuse de ses accords ̶ commence à vraiment bien transcender les participantes et participants. Ils font de tranquillement de plus en plus un avec le territoire et son histoire.
On s’est pas mal tous réveillés un peu fripés de cette première nuit musicale sous la tente. Certains et certaines ont lutté avec le froid ou la chaleur, ou les deux en même temps. D’autres ont perdu la guerre contre la toile interne mouillée de la tente ou encore contre le poêle à bois (ça fond vite du matériel de plein air!). Heureusement, un doux matin nous caressait le visage et nous chatouillait de ses quelques flocons. C’est burritos déjeuner aujourd’hui, de quoi bien nous nourrir en prévision de la plus longue journée de randonnée de l’expé : un gros 12km! Beau défi!
On marche, seul en duo, en trio. Ça jase en masse, encore. Il y en a des choses à raconter. Entre deux ‘’jokes de cancer’’, on tricote et détricote les histoires; il n’y en a pas deux pareilles. Ensemble, on escalade les vallons, on traverse des lacs. La piste sillonne la forêt comme nos souvenirs. Les arbres écoutent et enregistre nos secrets partagés, la forêt apprend aussi à nous connaître.
Arrivés au campement, les premiers et premières accueillent les suivants et suivantes par une haie d’honneur. « We are the champions… », le grand classique de Queens, se chante spontanément.
Les statistiques : on a été en mouvement pendant 5h à un rythme soutenu de plus de 2 km/h. Plusieurs remarquent que Félycia vole sur le lac sans jamais caler, sans raquettes aux pieds. La légende dit qu’elle a un super pouvoir, on la compare à un chevreuil ou un wapiti!
Une fatigue, une fierté et une petite euphorie s’installent. Après un peu de temps libre question de se reposer et de se changer, le groupe décide d’ouvrir leur paquet surprise nommé « high and low ». Je ne peux pas vous en dire beaucoup au sujet de cette tradition secrète des expéditions de la fondation. Ça implique un paquet à ouvrir, d’un mouvement 100% unanime, pendant un moment particulièrement génial ou particulièrement déroutant. Je constate qu’on flirte pas mal avec le génial en cette fin d’après-midi.
Ce soir, après le souper de crème de champignons et de pâtes carbonara avec beaucoup (bcp!) de bacon, on avait une montagne de biscuits maisons à manger. Catherine a alors proposé une super façon de partager le dessert; l’idée était d’offrir un biscuit à quelqu’un d’autre en lui disant pourquoi il mérite cette belle attention et de faire une chaîne comme ça de belles paroles accompagnées de douceurs sucrées! Belle idée!
Après cette dose de reconnaissance partagée, Julien nous a proposé une réflexion de mi-parcours sur la thématique de l’étoile et du soleil. L’étoile fait référence à un moment fort du voyage et le soleil est quelque chose que nous avons envie de mettre en action ou de vivre d’ici la fin du voyage; quelque chose sur quoi s’orienter. Cette discussion a eu lieu de manière ‘’pop-corn’’. Je vous explique, selon Julien qui pousse la métaphore, ça veut dire qu’en quelque sorte, on met le sac de la discussion au micro-onde et on attend de notre grain soit prêt à ‘’popper’’ (ou exploser). Ça veut dire que chacun et chacune peut prendre la parole quand il ou elle se sent prêt à s’ouvrir. Comme avec le sac au micro-onde, souvent, il y a un moment de silence au début, mais éventuellement, une explosion en invite une autre, la bonne température s’installe et le bouillonnement fait que plusieurs ont envie de partager. Pop, pop, POP! Il mentionne aussi que quand le temps de cuisson est terminé et qu’on ouvre le sac pour déguster, certains grains sont toujours bien là, pas explosés; cela veut dire qu’il est aussi possible de garder ses réflexions pour soi et de les amener dans son sac de couchage. Intéressante analogie!
Les partages sont vraiment riches et doux. Parmi les étoiles nommées, je retiens :
« Le moment où je me suis effondré dans la neige après la longue marche d’aujourd’hui, j’étais épuisé et je me sentais accompli. »
« Le moment où on chantait tous ensemble pour la chaise musicale. J’étais émotive, je me suis connectée au moment et je me suis dis que c’était ça la vraie vie : être avec du beau monde en nature. »
« La chaise musicale! Ça fait un siècle que je me suis autant connectée à mon cœur d’enfant. »
« Pendant la marche aujourd’hui, j’ai eu le temps d’avoir de belles et longues conversations profondes avec différentes personnes; je me sens honorée par chacun de ces partages, je ne les prends pas pour acquis. »
« La fois où on a juste simplement relaxé en gang au gros soleil en fin d’après-midi, après l’intense atelier de survie. »
« Me réveiller à la douce musique du banjo; pas d’alarme ni de rush. »
« Aujourd’hui, en mettant et en enlevant des couches de vêtements, je me suis senti bien et connecté à mon corps. C’était la première fois que je prenais le temps de vivre ça consciemment et je me suis senti heureux de savoir que j’avais ce pouvoir sur moi-même, de gérer ma température et de me sentir parfaitement bien en plein air. Ça augmente la confiance. »
Et pour les soleils :
« J’ai grandi comme enfant unique, j’ai l’habitude d’être seul et je suis bien là-dedans, mais ici, je veux me rappeler de prendre chaque seconde pour profiter de la riche présence des autres. Notre temps ensemble est compté! »
« Je surmonte ma peur de marcher sur le lac gelé; tellement que j’aimerais toucher l’eau du lac avec mes mains. »
« J’ai hâte de dormir à nouveau sous la tente avec plus de confiance, grandie de l’expérience de la première nuit »
« J’ai hâte de monter la montagne demain et pousser mes limites. »
« Je suis heureux à l’idée de retourner en randonnée demain, mais j’ai surtout hâte au moment après la randonnée, quand on peut juste tous ‘’chiller’’ ensemble et relaxer. »
« J’espère faire de la glissade de nouveau! »
« J’espère qu’on va garder cette belle dynamique de gang jusqu’à la fin et terminer le trip par un gigantesque ‘’group-hug’’. »
Il se fait pas mal tard, les petits yeux que je croise crient au dodo. Des cabanes en bois ronds bien chaudes attendent tranquillement les participants et participantes pour les envelopper et les accompagner pour un repos bien mérité.
Chères lectrices, chers lecteurs, bonne nuit!
Marie-Hélène
Bloggeuse-Photographe pour la fondation Sur la pointe des pieds