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Catégories

Expéditions

Auteur

Valérian Mazataud

Le groupe des participants sur le réservoir gelé à la pause lunch.

Nous avons passé une journée à arpenter la glace du réservoir Manicouagan gelé, découvrant toutes les variations de ce sublime paysage hivernal. Chaque jour l’équipe doit s’adapter à des conditions météo changeantes et inattendus, mais aucun changement de programme n’entache la bonne humeur du groupe qui devient de plus en plus à l’aise à vivre dehors.

Marcher sur l’eau

Manicouagan, une journée à marcher sur l’eau, ou plutôt sur la glace bien sûr. Tous les types de glaces. Il y a la glace translucide à travers laquelle on devine des bulles d’air emprisonnées, la glace blanche et râpeuse, la glace craquelée et morcelée, les plaques tectoniques de glace qui finissent par se chevaucher à force de pousser l’une contre l’autre, les montagnes de glace, semblable à des vagues de fond congelées en pleine course, celle qui ruisselle et suinte et inonde nos bottes d’hiver, et puis il y a la glace couleur d’azur, semblable à l’eau d’un lagon tropical.

Nous n’avons exploré qu’une infime partie de ce gigantesque territoire congelé aujourd’hui, juste assez pour se sentir minuscule et perdu dans l’immensité d’une presque banquise. «Il y a tellement de choses et puis il n’y a rien en même temps» s’étonne Vincent en admirant le paysage. Une journée ou le soleil a joué à la cachette dans les longues bandes de nuages aussi blancs que le paysage. Heureusement que notre médecin Lysianne dégaine son tube de crème solaire plus vite que son ombre pour nous protéger des rayons réfléchis. Une journée sous le vent du sud, un vent «chaud», relativement, qui nous a poussé dans le dos à l’allée, a sifflé dans nos oreilles et a emporté quelques objets légers dans sa course.

Réservoir de bonne humeur

Depuis notre départ de Montréal nous redoutons la pluie, qui ne vient toujours pas. Il semble que chaque jour, voir chaque heure gagnée sur les gouttes est une victoire en soi. Route fermée, menaces de pluie, mais aussi une saison peu neigeuse (même si ça ne semblait pas…) ont forcé l’équipe à passer au plan B puis au plan C. Dans le plan A, nous aurions vécu 5 jours en itinérance à ski sur le réservoir gelé du Manicouagan, bivouaquant dans notre Shaputuan d’îles en îles. Les conditions nous ont plutôt forcé à installer un camp de base à proximité du réservoir et à rayonner autour. Et puis finalement nous avons dû abandonner nos ski-hoks faute de neige fraîche.

Pour autant il semble que rien ne puisse désamorcer la bonne humeur et la motivation du groupe. Chaque conversation, même les sujets les plus graves, perte de cheveux en chimio, rupture de couple en cours de traitement, sont abordés par chacun avec naturel et humour. Alors, abandonner les skis au profit des raquettes et des crampons n’était un enjeu pour personne. Et c’est ainsi que nous avons parcouru les étendues gelées dans la bonne humeur, les conversations et les chansons. Après un lunch à l’abri du vent Mario a donné un cours d’orientation 101, carte et boussoles en main. Chacun a pu découvrir les azimuts et imaginer devoir s’orienter sur un territoire qui n’offrirait aucun point de repère.

La nature s’installe en nous

Notre aisance à vivre au grand air augmente à mesure que nos odeurs corporelles prennent des traits… forestiers disons. Notre hygiène est rudimentaire. Une toile suspendue offre un peu d’intimité pour changer de sous-vêtements et se laver rapidement avec des lingettes. Un bâton marque l’entrée du chemin qui mène aux toilettes, une simple cabine sans porte au milieu des arbres. Si le bâton est posé au sol, c’est occupé !

La nuit dernière fut heureusement beaucoup moins froide, même si le vent a soufflé assez fort pour soulever la toile. Mario et Ben, prompts à réagir, même au milieu de la nuit, ont heureusement pelleté un tas de neige dessus pour l’empêcher de s’envoler. Au petit matin, comme le veut la tradition informelle des expéditions, nous avons été réveillés au son d’une douce balade au Ukulélé.

Tout le monde devient de plus en plus efficace pour se changer au réveil ou au coucher et gérer tous son attirail de protection du froid sans s’éparpiller et sans rien perdre. Chacun développe ses propres techniques pour dormir confortablement : manteau d’hiver glissé au fond du sac de couchage, gourde remplie d’eau chaude pour servir de bouilloire. À mesure que nous vivons dehors, la nature s’installe en nous. Un tronc d’arbre devient notre sofa, un rayon de soleil une visite au spa, un ciel étoilé pour Netflix, et un groupe d’amis remplace Facebook.

 

Valérian Mazataud, photographe-blogueur bénévole pour la fondation Sur la pointe des pieds