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Expéditions

Auteur

Valerian Mazataud

Le troisième jour d'expédition c'est tout un défi pour notre équipe de deux rabaskas sur le réservoir du poisson-blanc. Défi, car c'est une journée complète dans la nature, avec un départ d'une plage de l'île mystérieuse, plusieurs heures de pagaie, et le soir, à nouveau l'installation de notre bivouac, sur le rivage du réservoir cette fois.

Le troisième jour d’une expédition de quatre jours, c’est à la fois le début de l’aventure, la fin de l’expédition et son point culminant. Le temps file plus vite que l’eau sous nos embarcations et il ne faut pas rater une minute pour en profiter. Mais ici on ne profite pas de la même manière que d’habitude. Il ne faut pas aller plus loin, payer plus cher, ou inviter plus de monde. Non pour en profiter ici, il suffit de se taire tous ensemble.

Pour faire silence tous ensemble, il suffit de bien se placer. En l’occurrence, nous avions choisi de monter en haut de la paroi éléphant, sur la rive ouest du réservoir. En haut de ce promontoire rocheux, c’est toutes les îles du sud-est qui s’offrent au regard. Une fois bien installé le silence se fait. D’abord, on continue à regarder le monde, les aiguilles des pins qui s’agitent dans le vent, les minuscules canots qui tracent leur route tout en bas, les nuages qui défilent… Puis, on commence à entendre tout ce qui compose le silence : le crépitement du vent, le bruissement des vagues, l’arôme des feuilles. Le silence dure cent ans ou cinq minutes. On est chacun assis séparément mais tous ensemble pareil. Tous ensemble, on vit ce moment, le plus simple qui soit, mais pourtant si difficile à ressentir. «À quel autre moment est-ce qu’on prend le temps de se laisser vivre des instants pareils?», s’interroge Simon, notre médecin d’expédition.

Atteindre ce sommet aussi c’était une expérience, un défi pour le groupe mais aussi un défi très personnel pour plusieurs participants qui combattent encore les effets secondaires de leurs traitements. Le groupe, le partage, ce sont les moteurs de la Fondation Sur la pointe des pieds. Grâce à eux nous ralentissons nos pas pour le moins rapides, qui synchronisent nos coups de pagaies, ouvrent nos oreilles pour le plus timide, et nos yeux pour le plus discret.

Et puis le soir venu, installés sur une petite pointe rocheuse, une fois notre dôme planté et le repas dégusté, on s’est assis en cercle. En un mot chacun a essayé de résumer son expérience : harmonie, coopération, décrochage, apprentissage, silence… Réchauffés par le feu et éclairés par le fanal, chacun a détaillé les définitions de son abécédaire de l’expédition, puis les conversations se sont poursuivies. Tous les participants se comprennent ici, les expériences sont différentes, mais l’épreuve reste la même. Chacun raconte à sa manière, en plaisante, s’en étonne, évoque avec force détail les aléas du diagnostic,  les changements d’hôpitaux, les repas d’hôpital, les chimios, la lourdeur des traitements… Et moi, moi qui n’ai jamais rien connu de tout cela, je les écoute, et je les entends rire sous les étoiles…

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