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Chers lecteurs,

Samedi soir était une belle et puissante soirée. En effet, après que les logisticiens nous aient créé un environnement propice aux échanges, les 2 Mario nous conviaient autour du feu.

C’est du jamais vu en 16 ans de traversées ! En temps normal, on serait tous assis dans une seule et même tente pour ce moment intime avec nos guides (pour vous donner une idée, on parle d’une soixantaine de personnes collées serrées qui tenteraient de braver le froid glacial du lac…). Mais le redoux nous donne cette belle opportunité, alors profitons-en.

Assis tous ensemble dehors autour du feu, nous ressemblons à des enfants qui attendent impatiemment leur histoire. Comme un livre qui s’ouvrirait, un des deux Mario commence à nous conter : « Sur la pointe des pieds », mais pourquoi la fondation s’appelle-t-elle ainsi? Parce qu’en se mettant sur la pointe des pieds on voit au delà de l’horizon, on arrive à voir au-delà de l’horizon de la maladie. Cette dynamique est porteuse d’espoir pour les jeunes qui sont en traitement et ceux en rémission.

David, que j’évoquais vendredi, prend la parole pour témoigner de son vécu. Après 7 ans de rémission, il décide de participer à une expédition de la fondation. À aucun moment il n’aurait imaginé en avoir tant besoin : il a appris à être à l’écoute de soi et de son corps comme jamais. Cette boule au ventre qui subsistait s’est mise à éclater et il est né une seconde fois.

Valerie, qui témoigne elle aussi, parle de sa maladie comme d’une guerre qui serait venue tout ravager. La fondation lui a permis de reconstruire son âme en détresse. C’est assurément une guerrière aujourd’hui.

Laurence, qui est venue avec son papa, témoigne aussi. Atteinte assez jeune du cancer, toute sa famille a porté avec elle sa maladie. C’était important pour elle de faire cette traversée avec son père qui l’a tant soutenue. Dans sa voix résonne la résilience et elle nous touche au plus profond de nous.

Tel un message de paix que nous seuls aurions la chance d’entendre, les deux Mario évoquent des passages de leur vie et s’accordent pour dire qu’il ne faut pas attendre qu’il nous arrive un pépin pour prendre action. « À partir de maintenant, demandez vous quelle chose, aussi infime soit-elle, vous allez changer pour que votre vie ait plus de sens ». Nous nous endormirons sur cette réflexion.

 

Dimanche matin, le jour se lève une dernière fois sur le campement du Double Défi de cette année 2024. On entend parler de « tracteurs » venus nous rendre visite sur le lac cette nuit : ils se seraient invités dans quelques tentes pour se faire entendre de tous. Je veux bien évidemment parler de nos amis ronfleurs qui semblent avoir profité pleinement de leur nuit. Ils n’ont en rien miné le moral des troupes : il est à peine 6h30 et j’entends déjà les rires sur le campement. Sans savoir ce qui se passe, je me mets à rire à mon tour en rangeant mon sac de couchage quelque peu humide.

C’est un matin nuageux, on me glisse néanmoins à l’oreille qu’on doit se regrouper pour le lever du soleil.  Tout le monde semble dans l’expectative. Un silence se crée instantanément, j’ai l’impression que chacun rentre en méditation. Je ne peux pas m’empêcher de regarder deux personnes qui s’avancent vers l’Est main dans la main, c’est Laura notre ange-gardienne et Karl notre cuisiner en chef. Elle glisse une main attendrissante et rassurante dans ses cheveux, quel beau couple. Ils se sont rencontrés sur les glaces du Lac St Jean il y a 6 ans et depuis ils ne se sont plus quittés. À croire que la nature a le pouvoir de réunir les âmes qui n’attendent que de s’aimer.

Mais voilà qu’un geste de Karl interpelle chacun dans son moment méditatif. C’est sur la banquise qu’il pose son genou et sort de la poche de son manteau une petite boîte blanche. C’est une vague d’émotions qui nous transportent, qu’on soit un grand rêveur de l’engagement par le mariage ou pas.

À la fois derrière le récit que je vous fait chaque jour, je suis aussi derrière les photos, je tourne donc autour d’eux pour capturer ce moment, et je pleure de bonheur derrière mon appareil.

Laura n’avait assurément pas vu venir la surprise ce matin. Ils se prennent dans les bras et s’embrassent tendrement devant l’assemblée qui applaudit : on vient de s’assurer qu’elle lui a dit OUI à la fameuse question.

On entend soudain le moteur d’une motoneige gronder, c’est Yvon qui arrive, avec lui, une carriole qui traîne des canes de sirop d’érable vide. En voiture les futurs mariés, je vous emmène faire une virée sur le lac! Leur chauffeur s’arrête un peu plus loin pour le clôt du spectacle : des feux d’artifice jaillissent du bonhomme de neige érigé un peu plus tôt hier soir! Alors que des câlins de félicitations s’en suivent avec notre couple d’amoureux, à la cuisine, la cloche retentit : l’équipe de Karl a parfaitement pris le relais pour les estomacs de nos aventuriers.

 

La poutine déjeuner garnie de légumes frais, de fromage et de sauce met le sourire dans chaque visage. À peine le repas terminé, Julien, coordonateur et gardien du temps sollicite chaque groupe de tente pour les photos souvenirs. Dans mon dos, l’équipe logistique démonte les tentes aussi vite que l’éclair. Ce matin on ne doit pas traîner, 7km nous attendent encore pour parvenir au village de glace de Roberval à 12:30.

Juste avant le départ, on nous invite à un échauffement, en silence, tout en se connectant à la banquise. Les participants imitent leur guide dans ses gestes, on dirait presque un rituel holistique.

Parés pour un dernier départ ? Direction l’arche d’arrivée ! Nous sillonnons à travers la slush, ce qui nous met quelque peu en retard sur notre horaire. Le groupe fait l’accordéon, c’est dur, d’autant plus qu’une alternance de vent, soleil et fine pluie se mêlent à la partie.

 

À moins d’un kilomètre de l’arrivée, on veut s’attendre pour marcher tous ensemble, prendre soin des autres, qu’on soit dans la difficulté ou non. C’est une partie qui se joue en équipe ou rien.

J’ai tellement confiance en nos maîtres du jeu. Quand je commence à avoir inévitablement les pieds dans l’eau, je me questionne. Qu’est ce que je ferais si j’étais là toute seule ? Je chercherais probablement une solution alternative pour rendre la chose moins inconfortable. Mais avec les deux Mario je suis sereine, je les suis, coûte que coûte, j’ai foi en ces deux individus si inspirants. On y est presque, c’est bientôt la fin de cette épopée. Je crois que certains l’attendent depuis longtemps.

Moi je pense sincèrement que c’est ça la vie, cette aventure qui règne dans chaque coin et qu’on veut chacun à notre manière aller explorer. J’aime me rappeler ce que m’a dit Mario Bilodeau au cours de la fin de semaine : « la nature n’est pas un terrain de survie, c’est un terrain de vie ». Forgeons donc nos esprits avec les paroles du grand sage et vivons pleinement ce que nous avons à vivre en accueillant simplement les choses comme elles sont.

Plus que quelques mètres de l’arrivée, les 2 Mario arborent un visage humble bien qu’ils viennent de passer le cap des 1100 personnes accompagnées sur le lac St Jean. La foule est venue les accueillir les deux pieds dans l’eau. Je vois aussi des papas et des mamans venus pour leurs enfants, des conjoints, deux petites filles qui attendent leur maman, et bien d’autres. Je ne peux pas m’empêcher d’avoir le cœur qui se serre, je pense soudainement à ma famille qui vit de l’autre côté de l’Atlantique et que j’aurais aimé voir ici. Pas seulement pour m’accueillir, mais pour leur faire vivre ces palpitations de l’âme.

 

J’ai été honorée de faire partie de cette aventure humaine comparable à aucune autre. Merci chers lecteurs pour votre attention.

C’est certain, je reviendrai.

 

Marine Diez

Blogueuse et photographe bénévole pour la fondation Sur la pointe des pieds