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Expéditions

Auteur

Valerian Mazataud

Au petit matin le thermomètre flirte avec les -30°C. Pas facile de se motiver à sortir de la douce chaleur de son sleeping… On écoute. Les bruits du camp qui commence à s’éveiller. Les dernières bûches qui crépitent dans le poêle, les premiers pas qui crissent dans la neige, et les chiens bien sure. Attachés pour dormir, ils sont calmes comme des anges, mais dès qu’ils sentent qu’on s’apprête à partir, le concert commence. Certains hurlent comme des loups, le museau levé vers le ciel, d’autres semblent crier comme des bébés, certains comme des otaries de cirque, et quelques uns gazouillent comme des oiseaux.

La journée, seuls les sons du traineau peuplent le silence de la forêt. Le cliquetis des chaînes des chiens, le bois du traineau qui semble grincer comme un vieux gréement de bateau, le glissement des patins sur la neige épaisse, le grincement du frein sur la glace. Le son enfin, c’est la langue, les accents de chacun, les essais de Noah qui aimerait beaucoup « être capable de faire des phrases complètes avec tous mes mots de Français », ou la motivation d’Esteban qui profite du voyage pour échanger le plus possible avec les participants anglophones. Pour Dylan le défi est encore plus grand : « j’aimerais pouvoir avoir une bonne conversation avec tout le monde au moins une fois. »

Le jour, c’est la vue qui occupe presque tous nos sens. Avec Antoine, mon partenaire de traineau d’aujourd.hui, nous ne cessons de nous émerveiller des paysages qui nous entourent. Parfois les sapins semblent former comme un tunnel traversé de rayons de soleil qui zèbrent notre route. Plus tard, le soleil inonde une plaine neigeuse d’où émergent les sommets d’arbres ensevelis comme des mâts de bateaux naufragés. Puis voilà que nous longeons la Craig Creek river, longue trainée de glace que perce parfois les remous du courant dans les roches.

Le goût bien sure, c’est la bouffe. En expédition, le plus simple des repas devient un vrai festin, nos papilles sont aiguisées par l’effort et la fatigue. Des pâtes aux boulettes ? Un régal. Du poulet curry aux légumes ? Un délice. Les mélanges les plus incongrus semblent soudain tout à fait concevables. De la confiture de fraises qui débordent sur mes patates, bah pourquoi pas. Et puis bien sure, il y a aussi les « high and low », deux paquets surprise que l’on peut décider d’ouvrir pour célébrer un temps fort ou pour se réconforter après un coup dur. Hier, c’est Nicolas qui a proposé d’ouvrir le premier après notre journée la plus physique. Tout le monde a voté pour… À l’intérieur ? Du chocolat au gingembre, de la réglisse, des jujubes aux framboises et un paquet de Goldfish.

Odeurs. Nous avons parlé hier des odeurs les moins agréables de nos amis à quatre pattes, mais les odeurs du camping d’hiver c’est aussi la fumée des essences de bois brûlant dans le feu de veillée ou dans les poêles : bouleau blanc ou jaune, épinette, cèdre… Et puis, bien entendu, comme il n’y a pas que les chiens qui peuvent sentir, aujourd’hui nous avons réservé une de nos tentes à improviser une salle de bain très rustique.

Toucher enfin. À commencer par le poil des chiens, long, court, épais, dru, touffu, rasé… Toucher encore, la neige, fraîche et légère, épaisse et collante, givrée et lourde, ou dure et glacée.

Et puis si il fallait trouver un sixième sens, ce serait celui de la communication avec nos attelages et nos montures. Au fil des jours, nous apprenons à reconnaitre les subtiles variations de vitesse et de pression du traineau, les mouvements des chiens de tête. Nous savons lire leur fatigue, leur impatience ou leur peur.

Demain, avant dernière journée d’expédition. Il reste peu de temps pour en profiter. C’est le temps des défis, un bain de neige pour Marc-André, et une nuit dans un abri extérieur pour Brandon et Anthony.