Ce mercredi matin, le soleil est revenu nous trouver, accompagné cette fois-ci d’un ami nommé vent du nord. Un mélange sucré-salé, de chaud et de froid, question de bien nous pincer les joues. Au programme : marcher 6,quelques kilomètres pour retrouver notre campement lacustre.
Avant ça, une discussion. Simple! … Ce qui était inattendu, c’est qu’on a commencé à marcher vers 16h30. La journée a viré autrement. Comme la vie. On fait des plans et ça change, on s’adapte, on apprend. Voici l’histoire d’une journée singulière. Parmi les plus belles et riches qu’on puisse vivre.
C’est en mode digestion de gruau que Marie-Michèle enseigne à notre nouvelle grande famille la signification du nom de la fondation Sur la pointe des pieds. On apprend que ça été créé par un oncologue nommé Sylvain Baruchel. L’histoire raconte qu’un soir, il a perdu un de ses jeunes patients qui aurait dû vivre, selon son pronostique. Il pensait que son corps aurait été capable de passer à travers, mais que son esprit n’a pas suivi; il serait, en quelque sorte, mort d’avoir perdu espoir. Le docteur, aimant de la nature, s’est dit que celle-ci aurait probablement le pouvoir de nourrir l’espoir des patients.
C’est avec cette conviction, qu’en 1996, il a mis sur pied une première expédition. Ça a commencé en grand avec un trip de fou : ils ont amené 4 jeunes dans les Monts-Groulx pour y faire du chien de traineau. C’était un lieu très peu fréquenté à l’époque, tellement que la nuit, les guides tapaient le sentier pour que les chiens puissent courir plus aisément le lendemain! Enfin le résultat a été très positif et la fondation est ainsi née. « Sur la pointe des pieds », ce serait parce qu’il voulait que ses patients s’élèvent et voient au-delà du cancer, parce qu’il y a plus à vivre au-delà de tout ça. Ils voulaient rassembler des jeunes qui ont eu une expérience de cancer et leur permettre de connecter avec d’autres jeunes qui ont un vécu similaire, ce qui n’est pas souvent possible dans les hôpitaux pendant les traitements. C’est exactement ce qu’on fait ici encore aujourd’hui, quasi trois décennies plus tard.
Jessica, notre travailleuse sociale, a repris la balle au bond et a ouvert une porte; une très grande porte, qui a grossi et grossi au fil des heures qui ont suivi.
Elle a annoncé la teneur de la discussion proposée : « on aimerait vous donner de la chance de faire un cercle de discussion à propos de votre expérience du cancer ». Elle explique que ces histoires, peut-être déjà partiellement partagées en sous-groupe, peuvent être bénéfiques pour tout le monde. Ce n’est évidemment pas obligatoire de parler, c’est une opportunité. Pour certain tout ça fait longtemps, pour d’autres, c’est très, très récent. La question se veut large pour laisse place aux participantes et participants de l’aborder dans le sens de leur choix. À l’hôpital, oui, on soigne le corps mais, il y a l’après, quand le système de santé « tire la plug » parce que tu es « guéri ». Comment tout ça impacte la santé mentale à moyen, long terme; comment on gère tous les autres aspects de nos de nos vies, comment on se sent, etc.
(…)
En toute transparence, je suis encore en train d’essayer d’atterrir de tout ça, de cette expérience de partage. Il est rendu 22h30 et ça me semble une mission impossible de vous parler de ce qu’on a vécu dans cette cabane. Comment trouver les justes mots pour résumer ce qui s’est passé en plus de 5 heures de discussion et d’écoute intense?
On a vécu quelque chose de fort, ça c’est sûr: c’était touchant, difficile, triste, beau, riche, frustrant, déstabilisant, réconfortant… Y’a eu des larmes, des yeux bouffis, du trafic de rouleau de papier de toilette qui se passe subtilement derrière le dos au début mais qui rapidement, pour répondre au besoin grandissant de joues mouillées, s’envole d’un bout à l’autre de la pièce comme un ballon de football. J’assiste à des mises à nu quasi-totale, plus rien de subtil, juste du vrai, de l’enfoui qui ressort, qui ventile. J’observe des mains qui se tendent, des doigts serrés, des frissons qui traversent les corps, j’imagine de la chair de poule. Je vois des bras qui s’étendent par-dessus les épaules, des têtes qui acquiesce en écoute active, des câlins de plusieurs minutes.
C’était cru, sans filtre. Des histoires de douleur intense, d’attente de résultat, de frustration, de carapace ou d’armure à porter pour préserver son entourage, d’isolement, de l’impact de la Covid, de vomissure, de sang, d’injections, de ponction, de médications, de dépression, de faux diagnostiques, de chimio, de radio, de rechute, d’effets secondaires, de perte d’amour propre, d’envie de mourir… et j’en passe.
Mais aussi de solidarité, de soutien, de famille, d’espoirs, de célébrations pour de petites choses comme manger par soit même, de nouveaux intérêts ou styles de vie, de voyages, de lendemains, de possibles, de rêves.
Certains on le tour de détendre l’atmosphère puisqu’on a ri aussi, quelque fois à gorge déployée même, comme quand Nads a parlé du moment où elle a tout perdu ses cheveux, ses cils et ses sourcils en disant : « dire que certaines personnes payent pour ça, moi je l’ai eu gratuitement! ».
Ce qui m’a particulièrement touché, c’était quand les jeunes se répondaient l’un à l’autre, quand ils disent des choses comme : « ce que tu vis ça me mouille les yeux, parce que ça me fait penser à mon histoire ». Des « Je te comprends tellement ». Quand ils se rassurent, s’encouragent, se disent que telle ou telle est réaction ou pensée est correcte, est normale. Aussi quand certaines ou certains se donne en exemple pour propager un message d’espoir et de force. « You can do it! Tu peux vivre une belle vie, remplie, comme moi j’arrive maintenant à le faire : t’es capable ». Ce genre de connexion, ça me donne des frissons, ça me rend sincèrement reconnaissante envers ce moment tellement fort et important pour elles et eux… Un des grands gaillards de l’expé est un bon vivant, rieur en toutes circonstances; quelqu’un lui lance : ‘’I’m crying for you man’’. Ça c’est de l’entraide et de la connexion à un autre niveau.
Après 3h de discussion et 50% du groupe qui avait pris la parole, on a dû prendre une pause lunch. On continue après, on marchera plus tard. L’opportunité d’échanger a été saisie à bras le corps
Bref, c’est comme ça que, bon an mal an, qu’on est parti à 16h30, en laissant un immense poids derrière. On a brûlé la cabane et tout ce qu’on n’y a déposé…
… Bon, on ne l’a pas brûlé pour vrai, je n’ai pas besoin de vous dire pourquoi, mais on y a pensé, symboliquement. En fait, en guise d’exutoire, toujours sous un soleil radieux de fin d’après-midi d’hiver à l’heure d’été, Cathe a proposé qu’on se rassemble et … à GO… de crier. Crier le plus fort possible, à s’époumonner.
Ç’a fait du bien.
La marche s’est déroulée aisément, le groupe a progressé super rapidement. On a retrouvé notre campement bercé par les derniers rayons du soleil. Le feu de camp était déjà allumé et les cheminées des tentes fumaient.
Pas besoin de vous dire qu’on a bien mangé. Cette fois-ci, c’était la tête sous des milliers d’étoiles venues en colonie pour assaisonner notre assiette et veiller sur nous toute la nuit. Fort de leur expérience de la première fois, c’est avec aplomb que tout le monde se prépare pour la dernière soirée sur les glaces. Le temps est clément.
Alors qu’en fin de soirée je me retire pour écrire, j’entends éclater de rire au loin. Ça ri fort, encore et encore. La gang joue, se laisse aller. Une bonne partie du groupe s’est aussi couché sur une bâche pour observer les étoiles ensemble, je les aies entendu hurler à la lune comme des loups, rire et rire encore. Après la journée qu’on a eue, cette joie criée m’émeut, bcp.
Je vous laisse sur des sages paroles entendues aujourd’hui de la bouche de David: « La nature elle ne te juge pas; elle ne te juge pas, elle vit avec toi ». Passer du temps en nature et en contexte d’expédition notamment, aide les personnes qui ont une expérience de cancer à se connecter à eux même et à se définir autrement que juste « la fille ou le gars qui a eu le cancer ». J’y crois sincèrement.
Familles et amis, je vous embrasse tous bien fort au nom des participantes et participants. Je vous le garanti : ils vous aiment tellement.
Si vous êtes trop brassés par la lecture du billet d’aujourd’hui, suivez les conseils : prenez le téléphone et appelez un proche ou allez en nature, trouvez-vous un petit coin éloigné et criez. Criez à vous époumonner.
La nature ne vous jugera pas et ça fait franchement du bien!
À demain,
Marie-Hélène
Bloggeuse-photographe pour la fondation Sur la pointe des pieds
PS : Sur une toute autre note, comme quoi la vie continue… Pat m’a demandé de passer un message spécial : Il souhaite un très joyeux anniversaire à son amoureuse 😊. Un homme attentionné!